samedi 7 juillet 2007

L'allusion religieuse comme axe persuasif en publicité

Bernice Fitzgibbon, dans son livre Macy's, Gimbels and me écrivait:

" Une bonne publicité ressemble à un bon sermon :
non seulement elle satisfait les affligés,
mais elle afflige les satisfaits."

On devine déjà, dans cette comparaison, l'attrait des publicitaires pour le monde religieux.

La publicité contemporaine se manifeste avec l'avènement conjugué de 3 phénomènes :
  1. l'ère industrielle qui permet de produire des biens de consommation en surplus de la demande
  2. l'alphabétisation systématique des populations
  3. l'arrivée du premier grand média de masse, le quotidien.
Cette conjoncture permet de produire (grâce aux machines) un journal à bon marché, qui peut donc être lu par un large public (concentré dans les villes comme force ouvrière, donc plus accessible aux diffuseurs), et qui dispose d'un revenu pour acheter les biens vantés par la publicité. Ce changement de société majeur s'est produit entre 1850 et 1900.

Dès les débuts, la publicité s'empare de produits qui ont déjà acquis une certaine notoriété par le bouche à oreille. La plupart de ces produits vedettes ont été mis en marché par les notables de l'époque, les prêtres et les médecins. Le premier secteur d'activité qui a sucé le petit revenu discrétionnaire des nouveaux citadins fatigués par la surexploitation industrielle, fut celui de la santé. C'est ainsi que les annonces-journaux louaient les mérites des Sirops Dr Lambert ou des Élixirs du Chanoine Kir.

Aujourd'hui, le religieux dans la publicité se manifeste sous trois formes:
1. Les religions officielles utilisent de plus en plus la publicité pour atteindre certains de leurs objectifs;

2. Des groupes de pression à préoccupation éthico-religieuse décident d'utiliser les mass médias;

3. Les publicitaires aiment faire des clins d'oeil religieux pour publiciser des marchandises de toute nature.
1. Les religions officielles utilisent de plus en plus la publicité pour atteindre certains de leurs objectifs

Les églises officielles se méfient des mass-médias profanes; elles s'en méfient surtout quand elles ne les contrôlent pas. L'Église catholique du Québec, par exemple, a pris position claire: les chrétiens doivent travailler dans les médias existants et faire passer par la bande leurs visions religieuses. Il est vrai que les évêques n'avaient pas beaucoup le choix puisque le Conseil de la Radio et Télévision Canadiennes (Crtc) interdisait d'utiliser les ondes (publiques) pour diffuser un message sectaire. Mais depuis quelques mois; le Crtc accorde des permis pour des groupes religieux; on a donc vu apparaître, à Québec et à Montréal, deux postes de radio catholiques sur modulation de fréquence.

Derrière le mépris apparent pour les massmédias, les églises utilisaient depuis longtemps d'autres formes de publicité, plus proche de la promotion; la promotion est une tactique d'influence des comportements plus immédiatement efficace. Quand on demandait, dans les années 1950, aux missionnaires (les vedettes de l'époque) de parcourir les écoles pour témoigner de la vie en Chine ou en Afrique, on jouait, comme le font les publicitaires d'aujourd'hui, sur l'aura de la vedette qui impose la crédibilité.

Par ailleurs, le bruit publicitaire augmente sans cesse dans les grandes concentrations urbaines. Naguère encore, la chaire garantissait aux chefs religieux un auditoire captif; mais ce n'est plus le cas. Aussi, des groupes religieux de plus en plus nombreux sentent le besoin de recourir aux médias "profanes" pour diffuser leurs messages.

La plupart de ces messages s'inscrivent à l'intérieur de stratégies qui visent trois objectifs, toujours les mêmes: soit susciter des vocations dans la jeunesse, soit stimuler les dons pour les oeuvres de charité, soit lutter contre la supposée influence néfaste des dits médias (mais cette tâche est souvent accomplie par les groupes de pression para-religieux).

En effet, quand il s'agit de levées de fond, il arrive de plus en plus souvent que les églises fassent appel aux publicitaires professionnels, agences ou individus. L'église de Montréal a lancé une de ces campagne illustrée par un Sacré-Coeur "hippisant" sous le thème: " Donner a toujours fait chaud au coeur ".

L'Église de Toronto a créé un précédent il y a une dizaine d'années en lançant une campagne de recrutement à la prêtrise par voie de panneaux-réclame: un grand Christ en croix, planant au-dessus de la cité profane, disait quelque chose comme Viens et suis-moi.

L'Église de Québec a passé une commande à la plus grande agence de publicité canadienne, Cossette Communication Marketing, pour une affiche en vue de recruter des jeunes hommes pour la prêtrise. L'affiche montrait une tête de Christ avec le message: " Il ne travaillait pas à temps partiel."

On peut penser à l'intervention de l'église épiscopale du Minnesota qui intervient pour sensibiliser la population au glissement du religieux vers le commercial de la fête de Pâques. On a diffusé une affiche où on montre côte à côte un lapin et Jésus en titrant: " Lequel s'est relevé d'entre les morts: n'oublions pas le vrai sens de Pâques! "

On sait que le public en général aime la publicité; c'est ce que révèle la plupart des sondages sur le sujet. Mais, surprise: les chrétiens reconvertis l'aiment encore davantage que le citoyen moyen. Stephen McDaniel et John Burnett ont publié les résultats d'une recherche dans le Journal of Advertising Research (vol31 no4) faite auprès de 2,000 répondants. L'hypothèse de départ était que les options religieuses ont des effets sur les attitudes et les comportements. On a trouvé, par exemple, que les Chrétiens évangéliques (estimés à 20% de l'échantillon) avaient une attitude plus positive envers la publicité que le public en général.

2. Des groupes de pression à préoccupation religieuse décident d'utiliser les mass médias

Par ailleurs, des groupes de citoyens se rassemblent parfois en groupes de pression éthico-religieux pour défendre la morale publique, souvent d'ailleurs contre "l'immoralité" présentée comme normale, disent-ils, par les mass-médias eux-mêmes.

La Société canadienne de la Bible a utilisé au Canada anglophone une série d'abribus pour vanter les mérites de la lecture biblique. Les thèmes-accroches, disposés au-dessus d'une Bible d'aspect traditionnel, allaient de " 100,000 semaines sur la liste des best-sellers " à " Vous doutez de la vie? Retournez au manuel ! "

On peut penser à une autre annonce biblique publiée dans l'ouest des États-Unis qui montrait une grosse Bible, en titrant: " À la fin, le héros est tué."

Le bulletin Campaign-London du 13 janvier 1995 rapportait un fait divers: un groupe de pression britannique intitulé "Christians in Media" ont réservé et payé 400 emplacements d'affichage pour proclamer: " Christians make better lovers ". Cela a provoqué un petit scandale dans la puritaine Albion et Christians in Media n'ont pas réussi à convaincre que "l'amour" dont il était question était l'amour-charité ils n'ont pas davantage réussi à convaincre que les chrétiens avaient le monopole de l'amour-charité.

La pression des groupes religieux ne peut pas être ignorée. Au début des années 1980, le superpuissant Proctor & Gamble - un des plus gros annonceurs au monde - a, aux États-Unis, retiré son placement publicitaire à une cinquantaine d'émission de télévision jugées inacceptables par un mouvement de pression religieux qui incitait au boycott des commanditaires.

L'abondance proposée par la société de consommation est elle-même critiquée. Gabriel Marc du journal catholique La Croix: " De telles offres de luxe impudiquement étalées ont de quoi dévoyer les échelles de valeur raisonnables des jeunes et des moins jeunes qui finissent par perdre complètement les pédales, acquérant et exigeant n'importe quoi comme un dû sans contrepartie de solidarité."

3. Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les publicitaires qui aiment faire des clins d'oeil religieux pour publiciser des marchandises de toute nature

Les publicitaires sont souvent tentés de faire des allusions à des personnages ou des événements de la vie religieuse. Ces allusions viennent le plus souvent d'associations d'idées fortuites engendrées par le milieu culturel général. Les créatifs d'agence s'amusent à faire de telles allusions de manière généralement assez désinvolte.

Exemple: une maison de relations publiques de Montréal "engage" comme vedette le Pape Jean-Paul II qui apparaît, la main levée en train de bénir, à pleine pages de revues spécialisées au-dessus du titre-accroche: " Ceux qui croient au pouvoir des relations publiques, levez la main ".

Mais il faut agir avec prudence; le sentiment religieux fait partie de l'univers personnel des individus, et ceux-ci sont peuvent se montrer pointilleux devant des allusions à leurs croyances profondes. C'est un sujet toujours plus ou moins "touchie". Ainsi, dans son numéro du 12 septembre 1994, l'hebdomadaire spécialisé AdWeek rapportait que le réseau CBS venait de refuser un commercial pour les raquettes de tennis Prince dans lequel Dieu jouait au tennis avec un simple mortel. Les américains considèrent qu'il y a là un tabou: on ne joue pas avec Dieu - on ne peut surtout pas gagner contre lui.

Malgré ces écueils, l'univers religieux est constamment mis à contribution dans la publicité. Sur le plan persuasif, ces allusions religieuses servent de métaphores pour titiller des cordes motivationnelles.

La Bible, ce monument du patrimoine occidental, est source d'inspiration durable. Le livre de la Génèse en particulier est largement exploité. Adam et Ève sont devenus le prototype de l'humain sollicité par les tentations de ce monde, Noé celui qui sauve son bien du désastre. Et y a-t-il métaphore biblique plus usée que celle du doigt de Dieu tiré de la Création de Michel-Ange?

Même Jésus est mis à contribution. Le film La Vie de Bryan avec les Monty Python a été lancé avec maintes allusions à la vie de Jésus que le film parodiait: " Un film qui est un vrai calvaire. Golgotha! Tout le monde descend." disait la publicité. Et que de fois n'a-t-on pas vue reconstituée La Dernière cène?

Mais trop, c'est trop. Une bataille d'opinions a envahi l'Europe il y a quelques années quand une entreprise espagnole a lancé ses jeans de marque Jésus.

De manière générale, plusieurs éléments venus de la religion sont mis en scène par les créateurs publicitaires:

a) L'architecture religieuse:
  • le clocher comme symbole du village rassembleur, ou de la pérennité de la tradition
  • le vitrail et l'idée de richesse, de couleur
  • le cloître et l'idée de recueillement, de silence, de retraite

b) Les cérémonies religieuses:
  • le sermon et son éloquence démodée: " Et maintenant, mes bien chers frères"
  • la confession et les sept péchés capitaux
  • le mariage et l'idée de durée, ou de solennité

c) Les personnages:
  • le curé bedonnant aimant la bonne chère (le Chanoine Kir)
  • le moine maigrichon, minutieux et patient
  • les prêtres à tonsure avec surplis et barrette
  • les saints et prophètes: François d'Assise et sa passion de la nature, Jean Baptiste et son vagabondage hippie
  • les anges et leur comportements angéliques

d) les lieux mythiques:
  • l'enfer et le ciel
  • le mont Sinaï

Finalement, ce sont les produits eux-mêmes qui proviennent de l'univers des nonnes et des curés. Les religieux ont, semble-t-il, la réputation de savoir cuisiner les mets simples et savoureux, ou de préparer les élixirs de bonne santé:
  • le chocolat des Trappistines
  • le fromage des moines d'Oka
  • la liqueur de la Grande Chartreuse

Et que dire de l'amour de nos si laïques cousins français pour les aliments à dénomination religieuse:
  • le Camembert des Prélats, des Deux Capucins, des Saints Pères, du Père André, du Vrai Moine, le Camembert St-Christophe, St-Georges, Le Bon St-Martin, le St-Jean pasteurisé
  • le vin, à commencer par le Dom Pérignon, le Cloître des Cordeliers, etc.
  • puis les bières, les sirops.

Le religieux est vu comme honnête, même par les mécréants

En définitive, ce sont les valeurs ou les contre-valeurs liées à la religion qui sont évoquées dans les messages publicitaires - la principale étant probablement l'idée de péché; le mal est alors présenté comme attirant, tentateur.

On fait aussi allusion aux valeurs religieuses pour mettre en évidence certaines qualités des produits: ils sont sains, simples, vrais, durables, puissants, voire miraculeux.

Les valeurs évoquées sont des valeurs soit défendues soit combattues par la religion. Mais toujours, les signifiants utilisés par les publicitaires sont devenus des symboles qui ont leur vive propre souvent très éloignée de la réalité. Qui, dans notre pays, voit encore des prêtres à soutane? des soeurs à cornette? qui peut me dire qu'il a vu récemment une barrette posée sur une belle tonsure fraîche?

Si les allusions religieuses sont toujours pertinentes en persuasion publicitaire, c'est que la collusion publicité/religion est naturelle car toutes les deux poursuivent un objectif similaire: susciter des adeptes en faisant miroiter le bonheur.

Credo de Gilbert Bécaud

Je crois en toi Sainte Société
Je crois en toi la publicité
Qui me donne à boire et à fumer
Dans le bon choix, dans les panneaux
Qui tire les ficelles de mes jours
En ton indispensabilité
Notre-Dame du bon secours
Credo

Par Claude Cossette, professeur titulaire en publicité et image, Université Laval - Société Internationale de Sociologie des Religions International Society for the Sociology of Religion - Publié dans la revue Communication&Organisation Isic-Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 1er semestre 1996